Inde, le visible et l'invisible - SOPHIE TRINIAC
Sophie Triniac est une photographe et une vidéaste basée à Paris. Films institutionnels, artistiques, créatrice vidéo, photographe spécialisée PolaroÏd...
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Des gens se baignent en Inde
Date

2011

Catégorie
Photographie
À propos de ce projet

Visible cette nourriture exquise

Riz, thé, citron, curry, chapati

Je me souviens d’avoir été si gourmande.

Visibles les couleurs

Celles rayonnantes des saris, des fleurs des offrandes, du soleil levant sur le Gange

Je me souviens d’avoir acheté une jupe jaune.

Visible la pauvreté

Dans les rues de Delhi

Je me souviens de ces corps dormant allongés au sol, tels des morts dans un cercueil.

Visible la maigreur

Celle des rickshaws, hommes transpirant sur leur vélo tirant des êtres humains

Je me souviens de ce terrible mal aise, de ce besoin oppressant de descendre de cette charrette, d’aider cet homme à avancer, juste à tenir sur ses jambes.

Visible la spiritualité hindouiste

Cette entière dévotion

Je me souviens de m’être demandée si j’étais croyante.

Visible et majestueux le Taj Mahal

Cette blancheur, cette pureté, ce respect

Je me souviens d’avoir détesté les voix fortes des touristes occidentaux résonnant dans ce profond silence.

Visible la mort

Les mourants dans les rues et les gares, le bois qui brûlera leur corps, les bûchers où ils seront déposés, leurs os flottant sur le Gange

Je me souviens de cette odeur s’attachant à mon nez, à mes cheveux, à mes vêtements. A moi.

Visible ce chaos permanent

Trains, motos, camions, tuks tuks, toujours en action, jamais un arrêt

Je me souviens de ce sentiment d’agression motorisée, partout autour de moi.

Visible ce fourmillement urbain

Enfants, femmes, hommes, toujours là, jamais un espace libre

Je me souviens de vouloir m’enfermer seule dans une pièce pour fuir le dehors.

Invisibles les femmes

Hôtels, poste, banques, magasins, restaurants, grands marchés

Les femmes ne sont pas là

Je me souviens d’avoir demandé à cet homme où était sa femme, de sa réponse : « à la maison, et elle y est très heureuse ».

Visibles les femmes voilées

Ces visages couverts, ces mains gantées, ces pieds en chaussettes

Les femmes se cachent

Je me souviens de cette chaleur étouffante.

Invisible moi

Marchandage de la course de taxi, de la chambre d’hôtel

Je n’existais pas

Je me souviens de cette monnaie rendue à mon compagnon alors que j’avais payé le repas et remis les roupies dans la main de ce serveur.

Visible cette attente

D’un poisson au bord de l’eau, d’une pièce dans la main, d’un mariage arrangé, d’une naissance, d’une guérison, de connaissances, d’existence

D’une vie autre ou d’une vie ailleurs ou de cette même vie qui continue.